Plantons le décor

Le circuit de Charade, près de Clermont-Ferrand, est un circuit de montagne qui a accueilli 4 Grand Prix de France de Formule 1 en 1965 (vainqueur Jim Clark sur Lotus Climax), 1966 (Jacky Stewart sur Matra Ford Cosworth), 1969 (Jochen Rindt sur Lotus Ford Cosworth) et 1972 (Jacky Stewart sur Tyrrell Ford Cosworth). Seuls des champions du monde ont gagné sur ce tracé très sélectif !

John Frankenheimer y tourna des scènes du film Grand Prix en 1966 (3 oscars) avec Yves Montand (le pilote Jean-Pierre Sarti) et Françoise Hardy (la journaliste Lisa). Des pilotes comme Graham Hill, Bruce Mc Laren, Lorenzo Bandini, Chris Amon, qui remplissaient mes magazines de pensionnat, ont tourné les scènes de course et des vues du Grand Prix de Monaco ont été simulées à… Royat, à quelques kilomètres, mélangées à des vues réelles ! Le film retrace bien l’ambiance de l’époque à Charade, comme le montre cet extrait :

La Classic Racing School a été créée en 2017 par deux jeunes ingénieurs INSA de Lyon afin de faire revivre à des passionnés l’ambiance des courses en monoplaces des années 60 et 70 sur des voitures directement inspirées de cette époque. Une auto à été développée spécialement pour cet usage au Royaume Uni, berceau de la Formule 1, par l’usine The Crosslé Car Company, constructeur de voitures de course depuis 1957 : la Crosslé 90F. La voiture reprend les codes de la Crosslé 16F développée en 1969 pour le championnat anglais de Formule Ford et qui a formé des champions du monde de Formule 1 comme Nigel Mansell.

Les voitures sont donc du type « cigar shape » à chassis tubulaire étroit et suspensions triangulées. Mues par un Ford Zetec 4 cylindres à carburateur de 110 chevaux via une boite Hewland, autre grand nom de l’époque, les voitures pèsent seulement 420 kg à vide, ce qui doit leur donner une belle vivacité !

Elles sont peintes chacune d’une couleur ou livrée différente. Il y a la « Matra », la « Brabham », la « Lotus » , la « Ligier Gitanes » ou encore la « Gulf » …

Crosslé 90F, 110 chevaux pour 420 kg

À titre de comparaison, en Formule 1 d’époque, une Lotus 25 à moteur V8 Climax 1500 cm3 des années 60 pesait 450 kg pour environ 200 chevaux et la Lotus 49 V8 Ford Cosworth 3000 cm3 à boite Hewland de 1967 pesait 500 kg pour 420 chevaux.

Lotus 25, 200 chevaux pour 450 kg
Lotus 49, 420 chevaux pour 500 kg

Je vais donc m’élancer sur les traces de Graham Hill et de Jacky Stewart pour une centaine de kilomètres à couvrir, en plusieurs séquences, sous la supervision des deux jeunes moniteurs et pilotes professionnels, Vincent Beltoise et Pierre Sancinena, pilotes Alpine. Nous serons environ une douzaine sur la journée, certains ne venant que l’après-midi, à nous partager 6 voitures spécialement réglées à notre taille, car il s’agit d’être parfaitement installé pour profiter pleinement des sensations.

La journée

J’ai rendez-vous à 8 heures. Le circuit de Charade est accessible par de jolies routes de montagne et est situé à 800 mètres d’altitude. Je suis en peu en avance et trouve un des mécanos à l’entrée principale qui m’ouvre le portail et je le suis. On passe sous le circuit pour aller se garer près de la tour de contrôle et de la voie des stands. Je découvre la ligne droite de départ en descente et les tribunes en face.

Je me dirige vers des box ouverts en bas et je suis accueilli par Julien et Morgan dans ce qui ressemble à un incroyable loft vintage des années 60. Canapés Chesterfield, télévision noir et blanc à coins ronds, transistor, tourne-disque, caisses en bois débordant de magazines auto d’époque, lampe Jielde, vieux bidons et outils, tout un univers a été recréé, avec vue sur le « garage » à travers une verrière, où sont rangées les monoplaces et où s’affairent déjà les mécaniciens.

Les autres participants arrivent et les conversations s’engagent autour d’un bon petit-déjeuner avec une gentille serveuse qui veillera toute la journée à ce qu’on puisse se désaltérer.

On nous dirige vers la salle des vestiaires. On y découvre des armoires vintage en fer étiquetées à notre nom. A l’intérieur tout est à ma taille : sous-vêtements haut et bas, cagoule, gants et combinaison au look vintage mais tout est ignifugé et aux normes FIA actuelles. Chaussures cuir et casque intégral blanc. J’ai toutefois apporté le mien, équipé d’un double écran anti buée et dont j’ai l’habitude.

On a ensuite un briefing dans les canapés Chesterfield pendant lequel ils nous donnent ou nous rappellent les trajectoires, le comportement de la voiture avec les transferts de masse, les consignes de sécurité, les drapeaux et signaux lumineux sur la piste…

Pendant ce temps les voitures ont été sorties et sont alignées devant les stands.

On est 2 par voiture et je prends mes marques dans la bleue « Matra ». Mais comme mon collègue la mettra 2 fois aux graviers, j’aurai la chance ensuite de prendre la Gulf le matin puis la rouge « Ferrari » l’après-midi. Chacune est très légèrement différente dans son assise ou dans la course aux pédales. L’équipe prend un soin particulier à ce qu’on soit bien installé. Les pédaliers sont réglés à notre taille mais on nous rajoute ou enlève de la mousse dans le dos selon besoin. Il me faudra la journée pour arriver à m’y introduire et surtout à en sortir seul. On enlève le volant, on monte debout dedans, puis en s’appuyant à l’arceau, on se laisse couler à l’intérieur en passant les jambes entre les tubes de chassis et l’extincteur qui sera dessous. On cherche les pédales à tâtons, il y a un cale pied à gauche mais tout ça est très serré et les grands pieds ont du mal.

Mes 3 autos du jour :

Pour sortir c’est plus dur. Les genoux butent sous le tableau de bord et il faut aller chercher appui avec les mains sur les tirants de suspension arrières pour s’extraire petit à petit sans toucher à la fragile verrière.

On nous emmène en berline à la découverte du circuit. Les moniteurs s’arrêtent et prennent le temps de décortiquer chaque virage, marqué par des doubles cônes au début de la zone de freinage, puis par un cône marquant l’endroit où il faut commencer à tourner depuis l’extérieur, puis par un cône marquant la corde à prendre à l’intérieur, puis par un cône marquant le point de sortie à l’extérieur.

Les freinages doivent être très appuyés au début, puis sensiblement relâchés pour remettre l’auto en appui sur ses 4 roues, l’accélération intervenant le plus tôt possible après une corde reculée. La faute la plus courante est en effet de rentrer trop fort trop tôt dans le virage, puis de se retrouver coincé par le bord extérieur alors qu’on n’a pas fini de tourner et qu’on ne peut donc pas accélérer, ce qui va pénaliser la vitesse dans toute la ligne droite qui suit.

Ces cônes sont donc d’une aide précieuse pour se placer de suite comme il faut sur un circuit qu’on ne connait pas. La piste étant détrempée le matin ils ont été placés en plus de manière à éviter au maximum toute ligne blanche ou vibreur particulièrement glissants.

On part ensuite pour une première session en file indienne derrière un moniteur lui aussi en monoplace, afin de se mettre l’auto en mains et en jambes. Déjà ça roule bien, personne n’est inexpérimenté et le leader voit bien que ça suit derrière et ajuste son allure en conséquence.

Ce sont ensuite 2 sessions libres où l’on part des stands à intervalles réguliers, de façon à ne pas être gêné par un plus lent à doubler ou un plus rapide qui viendrait derrière. Des observateurs répartis tout au long du circuit notent les comportements et chacun est débriefé avant la session suivante.

Le matin il pleut et les roues soulèvent de l’eau mais le circuit est bien drainé. Je suis surpris de l’adhérence excellente dans ces conditions et c’est finalement une chance de découvrir ces autos sous la pluie et de pouvoir se lâcher l’après-midi sur le sec à venir. Les autos ont un comportement impeccable, pas du tout sous-vireuses et qui ne survirent que si on les brutalise. La direction ultra directe fait qu’on n’a jamais à déplacer les mains sur le volant, ni à croiser les bras et tout le circuit peut se parcourir en 3 et 4 grâce à la souplesse du moteur. On peut donc se concentrer sur ses freinages et ses trajectoires sans trop de changements de vitesses, sans lâcher le volant trop souvent.

La session du matin :  un peu d’appréhension sur la piste mouillée. Ces Porsche 991 GT3 appartiennent à des instructeurs de l’école mais ne rouleront pas, le circuit étant à l’usage exclusif de l’école pour le week-end..

En fin de matinée, un nuage monte de la vallée et obstrue la visibilité peu avant midi dans les virages du fond. Le circuit taillé dans la montagne est vraiment somptueux. Il me rappelle Spa-Francorchamps, avec ses forêts, sa pluie et ses brumes. Mais si Spa est taillé à la mesure des F1 modernes, ici on n’a pas le temps de s’ennuyer car tout s’enchaîne très vite sur des toboggans successifs et resserrés.

La pause de midi vient à point nommé pour dégrafer les combinaisons, sécher la sueur et partager ses impressions autour d’un excellent buffet froid arrosé… d’eau plate ou pétillante. La soupe de fraises est un délice. On a tout le temps ensuite de mieux détailler les autos dont les capots sont enlevés, ou de jeter un oeil sur la jolie barquette qui fera quelques tours l’après-midi.

Deux autres monoplaces sont sorties car deux jolies blondes nous rejoignent pour l’après-midi. Elles serviront de chicane mobile et rajouteront du piment car on aura l’occasion de les dépasser derrière leur moniteur. Bravo à elles car elles étaient totalement inexpérimentées et ont eu le courage de se lancer dans cette expérience sur un circuit quand même très impressionnant. Charade n’est pas du tout le genre de gentils tourniquets sur lesquels on nous fait « essayer » des supercars en région parisienne…

Le soleil est sorti pendant la pause de midi et la piste a séché. C’est donc avec enthousiasme que l’on va effectuer 3 sessions l’après-midi, soit encore une cinquantaine de km. 2 sessions à chercher les limites de la voiture et la dernière plus cool pour moi car la fatigue commence à se faire sentir et la sensation que la voiture m’échappe dans le haut du circuit entre les murs lors de la session précédente a constitué un solide avertissement.

La session de l’après-midi :

Vers 17 heures, les mécanos récupèrent les voitures, ils doivent les préparer pour le lendemain, et on se retrouve devant un buffet convivial arrosé au champagne pour fêter cette belle journée.

Photos Benjamin Fournier (Instagram @benjaminfournier_photo) :

 

Un tour du circuit actuel

Le circuit actuel fait 4 km (3,975) avec 18 virages.

On passe la 4 en milieu de ligne droite de départ, aidé par la descente et de suite se présente le virage le plus impressionnant du circuit. Il n’a pas de nom mais pour moi c’est le virage de la mort ! Heureusement qu’on l’a découvert une première fois en sortant des stands. Il disparait sous la passerelle en descente, on ne voit pas sa sortie, on ne sait pas ce qu’on va trouver mais il est bordé par de sombres murs de béton sans aucun dégagement ! Sa découverte sous la pluie sous un ciel d’orage s’apparente à une descente aux enfers !

Il est suivi d’une courte ligne droite face à une très large et rassurante échappatoire avant une large épingle à droite, le virage de Manson. On débouche alors, toujours en descente, vers la partie que je trouve la plus agréable et la plus sécurisante car bordée de larges dégagements herbeux avec beaucoup de visibilité.

Il y a d’abord un très beau S droite-gauche qui inspire confiance. C’est dans le droite que je ferai mon seul tête à queue, peinard, la voiture s’immobilisant en travers au milieu. Un coup de démarreur et ça repartira.

On arrive sur un nouveau freinage en montée pour un gauche à 90° sans visibilité. On vire aussitôt à droite pour aborder un nouvel enchaînement plaisant et vallonné, le Puy de Charade. J’y trouverai un collègue en train de jardiner les bordures.

Une belle ligne droite en descente conduit avec un beau freinage à une épingle droite à 180°, l’épingle de Champeaux où il vaut mieux rester à droite en sortie car il y a un vilain mur sans dégagement à gauche et ensuite il faut aborder de suite par la droite le très bel enchaînement gauche-droite de la Ferme, avec changement d’inclinaison, qui commande la plus longue ligne droite.

Celle-ci n’est pas tout à fait droite d’ailleurs et il faut viser et se placer entre les murs à gauche et à droite dans la partie la plus rapide du circuit. On prend dans les 6000 tours et l’impression de vitesse est saisissante en descente, aux alentours de 170 km/h. On a le temps de regarder ses roues tourner à toute vitesse et de se préparer un freinage d’anthologie face à un très large bac à graviers et une belle courbe à gauche bien fermée et qui remonte, le virage du Petit Pont.

Courte ligne droite en côte et nouveau freinage pour une épingle serrée à droite avec mur à l’extérieur, l’épingle Marlboro. J’y trouverai un collègue tanké sur le vibreur près du mur.

Suivent une courbe à gauche en montée sans visibilité et une large courbe à droite dans la partie la plus haute du circuit, le tertre de Thèdes. Tout ça est bordé de murs et j’y roule vraiment en dedans pour ne pas y prendre le moindre risque.

À la sortie de cette courbe le circuit replonge brusquement en forte descente pour un large gauche et une belle ligne droite face à un immense bac à graviers. On peut à nouveau se faire plaisir au freinage au virage Rosier, large courbe à droite qui ramène sur la ligne droite de départ.

Et on recommence !

La Crosslé 90 F en détail

Elle est propulsée par un Ford Zetec 4 cylindres 2 litres 16 soupapes à 2 arbres à cames en tête, alimenté par un carburateur Weber double corps inversé et développant 110 chevaux. Allumage électronique. Graissage par carter sec, il y a une bâche à huile sur le côté droit, qui renvoie les vapeurs d’huile dans un petit bidon plastique. Il n’y a pas de zone rouge sur les compte tours mais le moteur s’étouffe sensiblement au delà de 6000 tours/min.

On trouve des moteurs Zetec sur de nombreuses voitures sportives de la gamme Ford (Fiesta, Focus…) comme sur des Lotus Seven ou des Caterham.

La boite de vitesses est une Hewland à crabots (rapports non synchronisés) 4 rapports plus marche arrière. Les vitesses passent mieux au double débrayage mais la boîte très robuste permet d’engager les rapports sans talon pointe en y allant franchement et fermement.

4 disques de freins non ventilés avec étriers simples pistons sont suffisants pour le faible poids de la voiture. Ils sont en sortie de boite à l’arrière. Non assistés, ils ne sont pas particulièrement durs. La pédale de frein actionne deux maître-cylindres, un pour les roues avant et un pour les roues arrière.

Les suspensions, du plus bel effet chromé, sont triangulées avec combinés ressorts-amortisseurs inclinés et entièrement réglables en pincement et carrossage. Barre anti-roulis réglable à l’avant.

Les roues de 13 pouces sont équipées de pneus Avon à gomme relativement dure qui donnent un bon grip sur sol sec comme sur piste mouillée. Ce ne sont pas des gommes chauffantes et ils sont utilisables à froid. Ils durent entre 1000 et 2000 km. 5.0/22.0-13 à l’avant et 6.5/23.0-13 à l’arrière.

Le réservoir à carburant dans le dos du pilote a été réduit à 13 litres pour les grands gabarits. Les mécanos refont le plein à chaque session.

L’échappement est muni d’un gros silencieux afin de respecter les normes de bruit.

Chassis tubulaire avec ensemble moteur-boîte non porteur. Radiateur d’eau à l’avant devant le pédalier réglable. L’espace est très réduit pour les grands pieds. Extincteur sous les jambes du pilote.

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A bord on trouve un petit volant Moto-Lita à branches alu et gainage cuir, un petit tableau de bord avec coupe-circuit à main gauche, 2 voyants et 2 manomètres de pression d’huile et température d’eau, compte-tours au centre, 2 interrupteurs pour contact et pompe à essence électrique et bouton de démarreur à main droite. Il y a aussi derrière le volant la commande d’extincteur à gauche et le répartiteur de freinage à droite.

Le tout petit levier de vitesses à grille classique en H renvoie les changements par une longue tringlerie qui court le long du cockpit. L’accélérateur est à câble. Un élégant saute-vent en plexi vient ceinturer l’habitacle surmonté d’un arceau de sécurité. Harnais 4 points à boucle centrale.

La Crosslé 16F de Formule Ford

L’école possède une de ces monoplaces historiques, qui ne parait pas son demi-siècle ! Le moteur est un Ford 4 cylindres 8 soupapes à arbre à cames latéral de 100 chevaux.

 

Crosslé 9S

L’école possède également cette très jolie barquette biplace conçue en 1965 et qui continue d’être produite.

 

Le circuit d’origine

Le circuit d’origine du Grand Prix faisait plus de 8 km. Je le parcours à la sortie en cabriolet pour profiter du soleil et de la nature environnante en prenant la deuxième à droite au rond-point de l’entrée du circuit actuel. Il y a une partie descendante et une partie remontante qui revient au rond-point. Des traces de pneus témoignent des essais et des crashes des amateurs du coin ! Ouvert à la circulation, plus rien ne témoigne de son passé mais on se dit qu’avec une Formule 1 de 500 chevaux sous la pluie ça devait être quelque chose…

Voilà, merci à toute l’équipe très dévouée de la Classic Racing School pour cette journée mémorable qui nous a fait approcher un peu ce que peut être la course en monoplace, la chaleur, la dureté des voitures, le risque, l’adrénaline, une expérience inoubliable mais à recommencer puisque les voitures sont disponibles en demi journées. Julien et Morgan ont créé un concept vraiment original et ont à coeur avec les pilotes et les mécanos de vous faire vivre une journée extraordinaire.

En savoir + avec la Classic Racing School

Il y avait un photographe professionnel sur place et les voitures étaient équipées d’une caméra. Images à venir… 3 petites vidéos en attendant :



Vous pouvez venir avec vos enfants, y en a une pour eux aussi…