Simca-Fiat Berlinette Le Mans ! Est-ce que je rêve éveillé ? Elle est pourtant là devant moi, cette voiture des années 30 qui n’a jamais existé officiellement ; avec un écusson Fiat Simca sur le nez et cette inscription Berlinette Le Mans sur l’aile arrière. Simca et Fiat ne sont pourtant pas des noms qu’on associe spontanément aux 24H du Mans. D’où sort cette auto ? D’un délire d’Enki Bilal revisitant une période Mussolinienne ? Voiture d’Adèle Blanc-Sec dans une bande dessinée de Jacques Tardi ? Il y a du Fellinien dans cette auto qu’on croirait de cinéma et assurément beaucoup d’Italie dans son rouge éclatant, presque Ferrari, et dans sa ligne basse et allongée.


Un peu d’histoire

C’est bien Benito Mussolini qui eut l’idée d’une voiture populaire, aussitôt copié par Adolf Hitler en Allemagne, afin de servir leurs propagandes. Cela donnera la Fiat 500 Topolino en Italie et la VW Coccinelle en Allemagne. L’histoire raconte encore que la Topolino fut conçue à traction avant mais que le prototype prit feu sur la route en 1931 avec le Sénateur Agnelli à bord qui décida que, « Amor di Dio!« , Fiat ne ferait jamais de traction avant. Le chef du projet fut licencié et Dante Giacosa reprit le projet plus classiquement avec un moteur 4 cylindres de 569 cm3 en porte à faux avant et une propulsion arrière. Ce fut la première Fiat 500 et son surnom Topolino (petite souris) lui resta attaché. Afin d’éviter les taxes d’importation en France de l’époque, Fiat fit accord avec Simca pour les faire fabriquer sous licence à Nanterre sous le nom de Simca 5.

A côté d’une authentique Simca 5
Simca 5 Le Mans 1937
Simca 5 Gordini Le Mans 1937, source Wikipedia

Et les 24H du Mans dans tout ça ? On retrouve effectivement trace de l’engagement aux 24H du Mans 1937 de deux Simca 5 à moteur Fiat 600 par l’écurie Gordini dont l’une termina 17ème en gagnant la classe 750 cm3 ! Elles coururent et gagnèrent encore en 1938 et 1939, à l’indice de performance.


Alain Lassalle

Dad and Will vous offrent encore une voiture unique au monde ! Et c’est Alain Lassalle qui a rêvé et conçu cette auto. On ne vous présente plus Alain, ex ingénieur prototypes Citroën, Matra  et D3, C’est lui qui a recréé la Rosalie Speedster de Jean Daninos.

La voiture que nous présente Alain a été conçue sur la base d’un chassis et d’une caisse de 1937. Alain a remplacé le moteur d’origine, un 4 cylindres en ligne refroidi par eau de 539 cm3, par un 4 cylindres en ligne de 767 cm3 de Fiat 600 des années 50. Ce moteur sort 32 chevaux à 4900 t/mn. Il a servi de base à des préparations Abarth de 70 chevaux.

Pourquoi n’as tu pas opté pour cette préparation ?

« L’objectif premier c’était le style. Maintenant on pourrait effectivement envisager cette motorisation mais il faudrait de plus gros tambours de freins. Les suspensions sont déjà très raides et ne nécessiteraient pas de modification à mon avis. »

Comment as tu eu l’idée de cette voiture ?

SIATA 750 SC
SIATA 750 SC de 1949

« En 1989 je lis LVA et je tombe sur une vente aux enchères Finarte d’une Siata 750 SC, un très joli roadster qui a couru aux Mille Miglia et à la Targa Florio. Moteur boite et suspensions proviennent d’une Topolino. Cette voiture de 1949 m’a longtemps trotté dans la tête et en 2000 je décide de reprendre ce concept, mais en moderne. Quand j’étais chez Matra, j’ai donc dessiné un roadster 2 places que je pensais équiper d’un BMW de moto 3 cylindres à plat de 750 cm3. J’en ai fait une maquette échelle 1 puis j’ai renoncé devant les problèmes d’homologation et je me suis rabattu sur un projet de coursification de Simca 5. »

Étude de style en 2000

Pourquoi Belinette Le Mans ?

« Il fallait que je crée une histoire pour cette voiture qui n’avait jamais existé. Gordini avait gagné l’indice de performance au Mans 3 années de suite, en 37, 38, 39 et Dante Giacosa, chef de projet Topolino, a proposé à Gordini un dessin de chassis à moteur central avant. La guerre a mis fin à ce projet et ma voiture est le fruit de ce qu’aurait pu être le mariage des victoires au Mans et du chassis à moteur central avant, décliné dans une production de série. »

Donc tu es parti d’une Topolino de base ?

« Sur l’étude de 2000 j’avais essayé de définir les lignes de force de la carrosserie et en fait tout partait de la pointe basse de la calandre. J’ai donc repris ce concept et sur ce schéma de morphing on voit bien comment j’ai procédé : passer le moteur en position centrale avant, puis allonger le capot et enfin rabaisser le toit. »

La voiture d’origine, trouvée en Haute Savoie

 

« J’ai voulu des lignes et proportions intemporelles, la dynamique des lignes de lumière, l’équilibre des volumes et du profil. C’est au pied de la calandre que naissent toutes les courbes.

Le chassis rallongé est composé d’une partie arrière de Simca 5 emboitée de 50 cm dans une partie avant de Simca 6, soudée et boulonnée. On gagne 20 cm d’empattement. C’est un ami, Didier Duarte, qui a réalisé la majeure partie des soudures du chassis et de la caisse. La caisse a été peinte et assemblée au chassis chez D3 à Guyancourt qui m’avait prêté un studio de montage prototype. Les roues proviennent d’Austin Healey Sprite avec des pneus Hankook de 135/70 R15.»

Alain Lassalle en 2011

La sellerie et la capote sont de Jacky Laure de Voisins le Bretonneux. Pour l’intrumentation, Alain a trouvé une série de manos Jaeger dans une bourse aux pièces, placés dans une plaque insérée dans la planche de bord Simca 5 : pression et température d’huile, tachymètre généreusement gradué jusqu’à 200 (!), compte-tours, température d’eau et jauge de carburant.

Les commodos et tout le circuit électrique proviennent d’une 2CV-6. Les ceintures, choisies pour leur couleur, viennent d’un combi VW avec des boucles style aviation.

Pas mal d’accastillage vient de chez Denel. Les phares sont des Simca 5 d’origine. Le bouchon de réservoir est un Aston-Martin Le Mans qui chapeaute une goulotte de 2CV ! D’origine les vitres étaient coulissantes. Alain a monté des lève-vitres Renault à manivelle des années 30. Le pare-brise est feuilleté et taillé sur mesure.

Pour le coffre, une malle en osier est accessible en rabattant les dossiers de sièges.

Alain a eu recours à pas mal d’astuces pour réduire les coûts de fabrication. Les splendides ouïes latérales par exemple étaient à plat sur un capot de Mercedes !

Sous les capots on trouve bien sûr le moteur, muni d’un système moderne de refroidissement. Sous la trappe gauche se trouve le vase d’expansion d’eau de refroidissement. La trappe droite s’ouvre de l’intérieur et était destinée au remplissage du réservoir à carburant qui a été migré à l’arrière.

La voiture roule au SP98 sans additif.


Sensations à bord

Alain m’emmène faire un petit tour dans les environs. On s’introduit assez facilement dans l’auto par les portes qui ouvrent largement vers l’arrière, les fameuses « portes suicide » qui furent interdites en 1964. Les grands auront bien du mal. Will qui dépasse le mètre 90 a les yeux au niveau de la barre de pare-brise et les genoux autour du volant ! Pour moi, la place est mesurée avec 1,080 m de largeur aux épaules et 1 mètre de hauteur du plancher au pavillon ! Le siège a peu de longueur d’assise. Que dire si ce n’est qu’on est bien dans une auto des années 30, qu’on entend bien le moteur et le ronflement de boite. Elle me rappelle mon plus lointain souvenir auto dans la 4CV de mon père quand j’avais 6 ans. La voiture manque encore un peu d’agrément de conduite avec une boite (4 rapports) très imprécise et à la synchronisation imparfaite qui requiert le double débrayage. Les freins à tambour sont… d’époque mais donnent une décélération dans les normes requises. La voiture est assurée en prototype, a sa carte grise de collection qui ne requiert plus de contrôle technique par son ancienneté mais Alain l’a calculée et conçue dans tous les domaines comme si elle devait passer une homologation. Seul un ingénieur de sa qualité et expérience pouvait le faire. Les suspensions fermes et son poids plume de 650 kg lui donnent une certaine vivacité. Alain me dit qu’elle tire court et demanderait des pneus à flancs plus haut, type 2CV, pour gagner en vitesse. Il n’a jamais dépassé le 80, même s’il la pense capable de 110. Il n’ a jamais pris avec une route qui le permette ! Pas de quoi courir au Mans donc, même en « classic ».  Mais Alain projette de lui mettre des tambours plus gros de Simca 8 et une prépa Abarth qui lui donnerait 70 chevaux. Des ailes !


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